
La terrasse aux bambous, journal
Petite maman tordue a quatre vingt trois ans cette année. Elle continue à se faire faire sa couleur noir corbeau, ce qui lui va très bien. Et puis elle se maquille pour passer à table avec les autres résidants. Petite maman tordue n’arrive plus à manger seule, on doit l’aider.
Petite maman tordue a la maladie de Parkinson, elle ne marche presque plus. Parfois elle tombe, comme un bébé-moineau de son nid. Alors il faut l’attacher... Ou la mettre au petit salon, dans son fauteuil roulant, où hurle une télé congestionnée par TF1. Et elle reste là, à attendre, encore attendre, qu’on la ramène à sa chambre. Mais elle ne se plaint pas, ou très peu, de sa voix à-peine audible, dans un souffle, elle pousse un “c’est dur ici” d’outre-tombe, puis elle sourit faiblement malgré sa dentition en souffrance. Elle mange peu à cause de cela, ces dents qui lui manquent. Mais bientôt, elle aura un dentier tout neuf, et, j’en suis sûr, son sourire redeviendra éclatant.
Car petite maman tordue a toujours été gaie, elle chantait en faisant la cuisine quand j’étais gosse, elle chantait en Breton même. Et je raffolais de ses patates sautées, ainsi que toute la famille, et dont le secret s’en ira avec elle. Mais elle ne peut pas mourir, moi vivant. Elle est solide, très solide et j'aime quand elle me sourit - alors je prends ses mains dans les miennes pour les embrasser.