dimanche 28 février 2010

Work In Progress (41)


La terrasse aux bambous, journal


L’hiver passa à l’allure trop lente d’un tanker plein à craquer de whisky, et qui n’en finissait pas de dégazer sur mes plages. Et moi, je m’y baignais à cœur que veux-tu.
Il y eut d’autres mails de L., confirmant le premier. Je décidais de ne pas couper les ponts. Devenir son ami, à défaut d’être son amant, fut mon objectif: quelqu’en soit le prix, les sacrifices, je voulais garder le contact. Sous quelque forme que ce fut.
Mais je continais ma vie le looser, confondant le jour et la nuit, le matin et ses cafés calva, l’après midi et le Malt. Plusieurs fois j’avais été odieux et ivre avec ma mère au téléphone, ce qui la rendait malade et l’entrainait dans sa propre dépression. J’avais la honte des soirées adipeuses, avec tout cet alcool qui courrait dans mes veines, de mon cerveau détruit qui ne savait que me faire balbutier des horreurs. Ma mère, pas encore petite maman tordue, que j’aimais plus que tout au monde, et que je maltraitais sans le moindre remord. Je n’étais plus qu’une loque. Figuration. Desolation rows.

Un soir, je me mis à hurler, n'en pouvant plus:
“J’ai quarante-cinq ans l’alcool alors lâche-moi la grappe! J’ai donné, trop donné à ce poison familial. Je vais te retourner comme une crèpe espèce de salope!” J’enrageais, un soir de vomi, contre mon nouvel ennemi. Après avoir craché toutes mes tripes dans l’évier, je réalisais, afin de retrouver L., que j’avais besoin d’aide, que je n’avais plus d’amis, plus de lien social, plus de vie à l’endroit.
Avec une force que je ne me connaissais pas, résigné à en réchapper, je me dirigeais avec un petit sac de sport, vers la ville dans la ville.
Cet hopital pour les pauvres surtout, les démunis, les toxicos, et tous les angoissés de nos bas-fonds. Le centre hospitalier Sainte-Anne.



samedi 27 février 2010

Work In Progress (40)


La terrasse aux bambous, journal


Je dirais que les mois passèrent, égaux à eux-mêmes, sans le moindre signe d’L. Je me morfondais dans l’éthylisme mondain, je ne buvais que du Pur Malt, son téléphone était sur messagerie, j’en crevais. Sa voix, sa voix si chère était absente, de plus en plus lointain souvenir, ces nuits de chaudes aventures que nous inventions, tout cela disparaissait au fur et à mesure. Il me restait la trouble sensation d’avoir posé la main sur sa cuisse fièvreuse et si douce. Je me contentais de cela. Mais pourtant, le temps pouvait bien n’en faire qu’à sa tête, je m’en fichais, sa peau devenue désormais imaginaire était brûlante. Et pour des lunes et des pluies. J’en revenais à elle, mon amour de toujours et à jamais, comme à la saison des moussons. Bénédiction.

vendredi 26 février 2010

Work In Progress (39)


La terrasse aux bambous, journal


J’étais devenu un familier des insomnies sévères. Et celle-là le fut particulièrement. J’avais été en nage toute la nuit. Les yeux secs au matin d'être restés ouverts et en larmes, je tenais encore le mail chiffoné contre mon cœur. Je m’étais allongé sans ôter mes vètements. Je n’osais pas bouger. Même pour une douche, qui m’aurait lavé des scories de ma nuit blanche. Je laissais le jour se lever, sans moi.
Plus tard, bien plus tard, je descendis au Bistrot 79 pour un kir des familles, ma famille: Zaza Ritz, Tata Jacqueline, Adeline, Jacky, Karim, Didier. Je m’ennivrai - avant de remonter titubant mais l’esprit clair, vers mon iMac relire le mail...
C’était sans ambiguïté, un point final à trois heures d’avion. J’étais cuit. Un point final à une histoire d’amour aussi courte qu’exceptionnelle. J’étais encore cuit. Mais après tout, c’était ma faute, et le repentir n’étant pas ma spécialité, je lui envoyais mes larmes et mes remords. En dépit de ça, cette histoire. Parfois je me demande si je n’ai pas tout inventé. Sauf la boisson.

mardi 23 février 2010

Work In Progress (38)


La terrasse aux bambous, journal


Ecrire ces quelques heures de fièvre, chairs à vif, longues comme des couteaux. Rien ne devrait jamais finir. Tout devrait se survivre. Comme ces pelouses d’avril à mars, encore et toujours ressuscitées, malgré la neige. Je pense à quelques fleurs d’hiver.
Conscencieusement, vers minuit, ivresse passée d’un mauvais vin de Bordeaux, je me dirigeai vers l’imprimante à pas feutrés, pieds nus sur le parquet comme aux premiuers jours. Je n’avais plus rien à boire, plus de médicaments pour m’aider à dormir. J’étais pourtant étrangement serein, la petite brindille qui retenait encore l’essain venait de se briser d’un clac sec, libérant des milliers d’abeilles vers la fuite au lieu de s’en prendre à moi. Des images de Toscane s’évanouissaient à mesure de mes délires enfuis. Il y a des étés qu’on retient.
J’allumais ma dernière blonde, c’est tout ce qu’il me restait. L’imprimante crachottait le mail, j’en chiffonais le premier tirage, gardais le second. J’étais à cet instant dégoûté par l’odeur de l’encre.
J’imaginais les doigts de L. courant sur le clavier, hésitant, corrigeant et puis le texte enfin terminé, appuyer sur “envoi”. Quelques secondes plus tard, il était dans ma boîte aux lettres.
Curieusement, c’est comme si je m’étais déjà préparé à recevoir ces lignes lapidaires et expéditives, et pourtant douces, écrites par ma terrible amoureuse, qui savait si bien me surprendre à chaque fois qu’elle le décidait, dans tous les égarements. Mais cette fois-ci, non. Je n’étais pas surpris outre mesure, son dernier baiser datait de plus d’un an. Un baiser comme on s’en souvient, volé et voluptueux... Un baiser d’été.
Finalement, j’étais un goujat, j’avait préféré l’alcool à Love Of My Life.
Je m’allongeai sur le futon, le mail sur mon cœur, la pire des insomnies me fit trembler et suer jusqu’au matin.


mercredi 17 février 2010

Work In Progress (37)


La terrasse aux bambous, journal


Sang glacé, à peine le sentis-je battre encore. De longues minutes, vides. Immanquablement vides, veines débarassées des sangsues.
“Fini de décoder” clame la Une de Libé à la mort de Jean Baudrillard. Je me souviens des “Cool Memories”. The first day on the rest of your life. Le premier jour, la naissance du Christ, maigre consolation. Mais il s’agit bien de cela: le premier jour de l’éffondrement intérieur.
Lorsque les membres sont d’un poids terrible, que la tête cogne contre les murs, que les mains se tordent de leur propre douleur, les jambes s’éffondrent sous le corps devenu trop lourd, trop là, pesant, lorsque les larmes arrivent enfin, que nul barrage ne peut enfreindre, pas même cette loi du noir dans les yeux, ces brûlures oculaires à chaque paupière dans sa tentative de se lever. De quoi mourir dix fois, si tétanisé, crâmé, tremblant. Vertige de l’abandon, et puis que sais-je: je me précipitais vers la boîte à pharmacie avec cette peur au ventre de ne pouvoir dormir. Et ce fut le cas. Dessine-moi l’enfer. J'ignorais que cela allait durer quatre ans.

samedi 13 février 2010

Work In Progress (36)


La terrasse aux bambous, journal


Tout se passa dans l’éclair d’une matînée de mai. Un éclat de fouet, une verre brisé, une cigarette qui me brûla les doigts. Je m’étais habitué aux silences de L, à ses mails dispersés, comme des grenouilles sautant sur le chiffon rouge. Mais elle ne m’écrivait plus. Plus comme avant. Le fauteuil en cuir avait gelé dans toutes ces nuits.
Comme d’habitude, je me levai tôt, inaugurant la journée en tirant sur une blonde que j’exécutais en trois taffes. Puis direction l’orange pressée dans la cuisine, trois goulées aussi, et enfin les mails: machinalement.
Mais voilà, cette journée était particulière. Noire et blanche, d’un terne de cendres. A m’en mettre plein la bouche, collées à mon palais, ma langue, impossible à recracher, des cendres à vomir, tousser, garder collées encore et encore, ma langue avait doublé de volume.

Le mail était long, minutieux, réfléchi. Je sentais des nœuds au creux de mon ventre à chaque ligne, comme si je n’avais rien avalé depuis des jours, et pourtant... “J’ai rencontré quelqu’un”. C’était simple et lumineux. Un rayon vert. Une horreur.

Work In Progress (35)


La terrasse aux bambous, journal


Certaines soirées de printemps, encore aujourd’hui, je sors la table et deux chaises car quelqu’un pourrait venir. Quelques gymnopédies dans les lierres, un thé vert Matcha du Japon, et j’attends sur les tomettes rouges. Mais personne ne vient plus, j’ai néttoyé la terrasse.
Dix-sept ans et fauteur de troubles: comme c’est loin tout ça! J’en ai vomi des soirées avec des brunettes et des coups de rouges, quel est donc ce vent mauvais, cette brise d’été qui me les a fait quitter? Lorsqu’on se penche sur son passé, on finit par se se ramasser sur le ciment tagué par la brigade scientifique, et on fait la Une du Parisien.
Mais le ciel est assez grand pour mes nuits étoilées. Aujourd’hui, je sais m’en contenter. Mais cela n’a pas toujours été le cas.

lundi 8 février 2010

Work In Progress (34)


La terrasse aux bambous, journal



Le lendemain, pétris de remords, vomissant encore dans l’évier de la cuisine, j’ouvris mes yeux secs sur une terrasse en désolation. Je cherchais un verre d’alcool en vain. L’air était gris, j’avais le teint cireux, comme sortant d’une jaunisse. Mais il faut croire que je n’avais pas encore touché le fond, mes mains tremblaient et je n’arrivais pas à fumer. J’allais aux mails... Rien. J’avais mal raccroché le téléphone sans fil, plus de batterie. Du fond de mes vapeurs éthyliques, je fis un tour à la douche, cette cabine où nous nous aimames si souvent. Là aussi, elle était absente, bien entendu. Je devais me rendre à l’évidence, je l’avais perdue, sans mot dire, juste des pleurs.

Je descendis chez Fanfan, boire un coup avec Zaza Ritz, mais le cœur n’y était pas. Et puis je n’avais pas envie de parler. A personne. Je remontais au Mac. Lancer un SOS vers Love Of My Life. J’espérais que j’allais m’évanouir de ce cauchemar.

A ce stade de ce journal, la mémoire me fait défaut. Je buvais tellement, en plus des médicaments, que rien ne remonte à la surface de ma conscience. Je faisais des centaines de photos, tous crocs sirupeux dehors, que je lui envoyais, bien entendu accompagnées de toutes sortes de je t’aime et autres tu me manques, mais en vain, car, bien entendu, elle ne me répondait pas. Trois autres mois passèrent ainsi, dans l’obscur et le malentendu. Car, je le sus un beau jour d’avril, elle avait été privée de téléphone international pendant tout ce temps. Et non, elle ne m’oubliait pas, mais trop de travail. Je ne me rendais pas compte... J'étais juste en train de crever.