jeudi 24 décembre 2009

Work In Progress (30)



La terrasse aux bambous, journal


L’idée de ne plus voir, ni entendre L pendant trois mois me révulsait. Comment allai-je tenir? J’étais si amoureux! Amoureux comme jamais auparavant, et jamais depuis. Je tournais en rond, de la terrasse au salon et aller retour - en cage. Je fumais beaucoup et buvais encore plus. J’écrivais des mails dans le vide, sans grand’chose à dire, j’y joignais toutes sortes de photos. Trois mois, je souffrais. Et elle? Comment entreprenait-elle ce temps, cette distance? Je me posais moult questions. Je n’envisageais pas les réponses; elle devait être très occupée - elle réussissait parfois à m’envoyer un mail, quand il y avait de l’électricité! Elle se voulait rassurante, elle m’épargnait ses conditions de vie qui auraient pu m’inquièter. Mais je lisais entre les lignes, et rien n’était ni facile ni simple. Pourtant, je la sentais s’éloigner. Nous avions dix neuf ans d’écart et elle vivait à fond! Son caractère de Bretonne la poussait à prendre des risques. J’étais inquiet, pour elle, pour nous. Et je ne saurais pas dire comment ces intuitions me vinrent à l’esprit, mais elles étaient justes.

dimanche 20 décembre 2009

Work In Progress (29)


La terrasse aux bambous, journal


Un jour, à marquer d’une pierre blanche, je reçus un mail: Mon amour, je quitte la Suisse pour le Kosovo avec la Croix rouge (L était infirmière), je pars pour trois mois, tu vas me manquer. Je restais stupéfait. Je lisais et relisais ces quelques lignes, complètement désenchanté. Je décrochais le telephone, répondeur. J’attendrai ce soir pour appeller à nouveau. Le soir venu, elle me confirma son projet d’aide humanitaire dans un pays en guerre et privé d’électricité. De mon côté, j’étais si amoureux que je l’encourageai à partir, ce genre d’opportunité ne se présente pas deux fois et elle semblait emballée par cette aventure. Nous ne passâmes pas la nuit au téléphone comme à l’accoutumée. Je ne le savais pas, mais je venais d’entendre sa voix pour la dernière fois.
Quelques jours plus tard, elle m’envoya par la Poste le roman de Marc Levy: “Où es-tu?” - son dernier geste amoureux. Je dévorais le livre dans la nuit, et une étrange sensation m’envahit aux premières lueurs de l’aube, un mélange de désarroi et de mauvaise prémonition...
Elle ne partait que pour trois mois essayai-je de me consoler. Mais dans une contrée sans mails et sans téléphone... J’étais irrité, consterné, nerveux. Je ne savais que faire, que penser. J’avais surtout peur pour sa sécurité. Trois mois sans elle... Mon sang bouillonnait, faisait battre mes veines. Je décidais de boire, welcome to Hell.

Work In Progress (28)


La terrasse aux bambous, journal

Le soir venu, ma Voyageuse devait retourner vers ses terres. Combien de regrets à ces instants de départ. L s’était reposée, et je l’accompagnai à sa voiture pour un long, très long, au-revoir. Impossible de décoller nos lèvres les unes des autres. Quand enfin elle démarra, je la suivis du regard s’éloigner vers le périphérique. Dix minutes plus tard, j’avais acheté un flash de Campbell. L’envie d’écrire me reprenait, j’étais heureux. Vite, un texto: Prend soin de toi, de nous, ne roule pas trop vite. Puis je m’abreuvais.
Les weekends se succèdaient, toujours impromptus, et de découvertes en préemptions incroyables, nous nous devinions sans aucune retenue. Quand L venait me voir, parfumée et si douce, je ne buvais pas. Je me souviens, après sa douche, avoir posé ma main sur son genou, nous étions tous deux assis sur le canapé, et j’avais trouvé sa peau si voluptueuse que ma peau brûle encore de cette caresse. Je la laissais toujours repartir le cœur serré, mais prèt à lever le coude juste après. J’étais incorrigible. Et j’allais le payer cher. Très cher.

dimanche 13 décembre 2009

Work In Progress (27)


La terrasse aux bambous, journal



Nous primes le temps de nous regarder, de nous aimer, du bout des yeux, félins étions-nous si inconnus et si proches, amoureux. Evidents à cet instant où L, sortie de la douche, me rejoignit sur la terrasse pour une cigarette, la première partagée. Et de nous dire ces quelques mots et ces longs silences, l’air n’avait jamais été aussi doux à Paris. Je la voyais enfin, dans mon peignoir blanc, si belle, si vraie. Elle aussi me voyait, tous nos regards confondus qui fusionnaient à l’envie. Nous attendions la fin de la cigarette pour une invîtation à la chambre.
Ça sentait le frais, la fenêtre était ouverte, nous nous jettâmes sur le lit pour nous explorer, nous découvrir, nous aimer. Nos corps enfin réunis dans des élans de fougue et d’autres plus tendres. L’amour a des secrets à jamais recommencés et de découvertes en explorations, viennent les plaisirs et les contemplations. Nous nous ouvrions l’un à l’autre, mais à chaque fois réunis dans nos plaisirs.
Vers seize heures, je préparais les jus d’oranges et les œufs au bacon, non sans en avoir grillé une au passage... Et bien vite ce premier brunch fut l’un des plus mémorables de nos repas amoureux. Décidémment, amants nous étions, à l’envers vers l’abandon des conventions allions-nous.

Work In Progress (26)


La terrasse aux bambous, journal


Vers six heures du matin, j’avais vidé et jetté la bouteille de Talisker. Le disque était fini. Je rentrai reprendre ma lecture, lorsque le téléphone vibra: J’arrive à Paris. Sa voix était fatiguée mais elle chantait déjà. A cette époque on avait encore le droit de téléphoner en conduisant...
Je la guidais vers le périphérique. La porte de la Plaine. Vers la terrasse et le lit. J’étais au comble de l’excitation et, paradoxalement, léger et reposé. Vole, mon amour. Je pensais à L, qui se rapprochait à chaque minute, comme une délivrance après toutes nos nuits virtuelles. Nous allions enfin nous découvrir, nous aimer en vrai. Je ne doutais pas un seul instant de mon amour dévorant pour elle, j’avais l’impression de la connaître du bout des doigts.
Elle trouva bien vite une place pour garer sa Panda. Et s’engagea dans ma rue. Je descendis quatre à quatre les cinq étages, le portable à l’oreille. Nous y sommes presque lui dis-je. Je remontais la rue, lorsque je l’aperçus, elle aussi avec son mobile, et un énorme sac de cuir. Je me disais en mon for intérieur que je n’avais jamais aimé comme ça, à ce point, de non-retour saurai-je plus tard. J’étais le fou d’L. Elle eut cette phrase au téléphone: Ne t’attends pas à une bombe atomique! Puis je raccrochai et courus vers elle dans cette belle nuit d’été parisienne.
Nous n’attendîmes pas une seconde pour nous embrasser sauvagement. Tu dois être crevée? A ton avis?? elle riait. Je n’étais pas déçu, bien au contraire! J’étais encore plus fou d’elle. Une passion dévorante. Je pris son sac et elle ma main, elle embrassa ma paume dans un instant d’une immense tendresse. J’en avais les larmes aux yeux.
Une bonne douche?, lui proposai-je dans l’ascenseur entre deux baisers gourmands. Oh que oui! répondit-elle, sans pouvoir reprendre son souffle.





jeudi 10 décembre 2009

Work In Progress (25)


La terrasse aux bambous, journal


Le Journal d’Aran, de Nicolas Bouvier, me tombait des mains, et pourtant c’est mon écrivain-voyageur préféré. Mais je devais me faire une raison, mon excitation à l’idée de voir L était au comble de la démesure. Je me souvenais de tout, nos nuits téléphoniques et amoureuses, à parler, parler, et parler encore; tout en L me faisait chavirer, et là, dans quelques heures, j’allais m’échouer, rayonnant de bonheur, sur la plage du réel. L et moi étions résolument modernes.

Ce qui est bien quand on regarde la télé à quatre heures du matin, c’est qu’on s’endort. J’éteignis donc le meuble couleur, mis un disque de US3 et sortis sur la terrasse avec des cloppes et mon mobile. Je lui envoyai un texto qui me suffoqua d’originalité: Où es-tu? (Phrase qui, un an plus tard, allait résonner beaucoup moins claire que dans le roman de Marc Levy). Je t’aime, eus-je comme réponse, je file, je vole, vers toi mon amour. Je t’attends comme un loup, plus souple qu’un berger, oh ma corbeille blonde. Pourquoi Jean Genet à ce moment-là? Je l’ignore, un coup de frime ou une incroyable prémonition? Sur mon cou...
J’allumais ma énième Dunhill sur la terrasse aux bambous, un verre de Talisker posé sur la table, mon amour, Love Of My Life, en route vers mes bras et ma bouche, je respirais à fond, j’étais bien, le temps suspendu ne s’était aperçu de rien, mais j’avais arrèté toutes les horloges. J’étais en vie. Je t’attend mon amour.


Work In Progress (24)


La terrasse aux bambous, journal


Une semaine passa, sans le moindre coup de fil. Nous étions en août et ruinés. L’air était doux, vaporeux et lent. L’idéal pour fumer sur la terrasse. L me manquait. Mais elle était en famille en Bretagne, restaient les SMS amoureux et enflammés.
Et les mails, les photos. Nos habitudes. Mais nos habitudes, nous devions les faire s’écrouler. Les réduire en cendres, nous avions fait le tour de la question. Elle et moi étions exigeants. L, plus que moi d’ailleurs.
Vint cette fameuse nuit de son retour en Suisse, dans sa petite Panda noire. Elle m’envoya un texto pour m’avertir qu’elle m’appellerait en arrivant. J’étais ivre, je ne reçu jamais le SMS. Je dormais, télé allumée sur un concert de Fauré.
Le téléphonne crissa comme une paire de pneus en travers de mon cerveau abruti. C’était ma Voyageuse amoureuse qui venait de rentrer. Je balbutiai quelques mots d’amour avant de me ressaisir et de lui jetter à l’oreille: je veux te voir! Quoi? Maintenant? répliqua-t-elle. Oui, murmurai-je, cette fois tout-à-fait libéré de mes brumes nocturnes. Cap ou pas cap? l’interrogeais-je, totalement inconscient de ce que je lui demandais, mais si amoureux que je ne me rendais pas compte de l’énormité de ma question. Je viens de faire plus de mille bornes, soupira-t-elle. Mais je t’aime cria-t-elle dans la foulée. J’arrive.
Maintenant? Maintenant.
Je regardais l’heure: deux heures trente du matin. Mon sang bouillonnait, j’étais aux anges. Je filais fumer sur la terrasse, il faisait chaud. C’était l’été et ma vie basculait vers l’autre monde, celui de l’amour fou. Je ne savais pas comment occuper mon temps en l’attendant. Je mis le portable à recharger. Je changeai les draps. Je buvais quelques lampées de Scotch. Je me lavais les dents, puis finalement pris une douche. J’étais comme un chien fou. Tiger On Vaseline, chantait David Bowie. Je trépignais. J’avais au moins quatre à cinq heures à attendre.

lundi 7 décembre 2009

Work In Progress (23)


La terrasse aux bambous, journal

C’est bouleversant, la légèreté. Le cœur léger comme un oisillon qui crie famine dans son nid. Je me sentais en complaisance. Le sentiment étrange d’avoir passé un cap. Une limite avait été franchie, et j’étais le plus aimé et heureux des hommes. N’est-ce pas ce qu’on se dit? J’étais en amour avec L, et elle avec moi. J’étais transfiguré, lent, sans fil, tout sauf sérieux. Je buvais toujours autant hélas, et je fumais ces maudites blondes.
Même si les notes de téléphones nous avaient quelque peu refroidis, nous continuions à nous aimer au-delà des montagnes. C’était de plus en plus intense, nous nous consumions comme des enfants, à nous casser les voix, nos souffles, nos frissons, nos extases.
Je ne saurais dire pourquoi une femme et un homme qui se complaisent dans l’onanisme, formule exécrable s’il en est, et guident leurs plaisirs par des mots tendres et des soupirs au téléphone, à mon sens, font vraiment l’amour.... A cette époque, j’étais comme un chien fou dans notre complicité, j’osais tout. Du plus sensuel au moins porno, mais, dès lors que nous nous étions dit que nous nous aimions d’un amour absolu, nous passions plus de temps à nous découvrir l’un l’autre, nous nous séduisions au fil de nos nuits suaves et légères. Mais le manque commençait à nous percer corps et âmes, nous commençions à atteindre les limites de nos échanges libertins. Nous devions passer le cap, nous n’en pouvions plus de nous attendre, nous nous aimions d’amour absolu. Nous avions à aller au-delà de tout ça, nous retrouver, nous éprouver, nous aimer enfin, nous rencontrer. Et cela arriva dans des circonstances assez particulières, car tout, dans notre histoire, ne ressemblait à rien d’autre, livrés que nous étions à tous les excès.

vendredi 4 décembre 2009

Work In Progress (22)


La terrasse aux bambous, journal


Puis nos nuits sans sommeil, qui valaient des années de veille, se succédèrent au rythme de nos disponibilités, L travaillant souvent en nocturne.
C’était toujours le même cérémonial, nous nous postions des mails enflammés, accompagnés de photographies de plus en plus érotiques,
la joie de les découvrir était comme un tourbillon d’ivresse, puis, vers minuit, j’allais rejoindre ma chambre, non sans avoir au préalable allumé une bougie parfumée au santal. Et je composais le numéro chéri... Au bout de la ligne, un timide ou fatigué coucou, parfois un enjoué bonsoir m’acceuillait, cela dépendait des nuits, mais bien vite le plaisir de nous entendre prenait le dessus, et nous commençions à nous raconter nos journées. L ne savait pas que je buvais à l’époque. J’étais toujours en pleine forme au creux de la nuit. Ma Voyageuse ne tardait pas à me suivre dans mes divagations sensuelles, et à son tour m’entrainait dans les siennes...
Et puis un soir, après plusieurs heures de somptueuses jouissances, que même mes rêves les plus érotiques ne pourraient reproduire, il me vint soudain, au sommet de l’extase conjuguée à la sienne, un cri qui me remontait du ventre, et je hurlais, dans un souffle plus puissant que les autres et qui me tétanisait un JE T’AIME! impossible à réprimer, qui me souleva, malgré moi et mon serment de ne plus jamais dire ces deux mots, jusqu’à le répéter à l’infini comme un écho, et qui vint mourir dans mon jouir de l’avoir enfin dit, comme une délivrance. Et au creux de cet écho, à l'autre bout de la ligne, un je t'aime retentit, accompagné de pleurs de joie.