vendredi 30 octobre 2009

Work In Progress (9)



La terrasse aux bambous, journal


Petite maman tordue a terriblement maigri depuis qu’elle habite dans sa nouvelle maison médicalisée, elle pèse quarante sept kilos et demi. Cinq ans qu’elle attend, assise dans son fauteuil avec sangles trois fois trop grand pour elle, près de la fenêtre, en écoutant RTL. Ce n’est pas elle qui a choisi cette station, c’est Dad. Alors elle “entend”, à regret, les Grosses Têtes. Mais pas souvent. Ni le foot le soir. Récemment, j’ai branché le poste sur France Inter, mais j’ignore si cela lui convient mieux... Elle se perd et se retrouve dans sa vie d'hôtesse de l'air, je l'ai filmée pour conserver ses souvenirs merveilleux de voyages et de rencontres, de sa petite voix fragile, elle me raconte. Saïgon, New York, Dakar... Elle a une mémoire extraordinaire!

Petite maman tordue a quatre vingt trois ans cette année. Elle continue à se faire faire sa couleur noir corbeau, ce qui lui va très bien. Et puis elle se maquille pour passer à table avec les autres résidants. Petite maman tordue n’arrive plus à manger seule, on doit l’aider.

Petite maman tordue a la maladie de Parkinson, elle ne marche presque plus. Parfois elle tombe, comme un bébé-moineau de son nid. Alors il faut l’attacher... Ou la mettre au petit salon, dans son fauteuil roulant, où hurle une télé congestionnée par TF1. Et elle reste là, à attendre, encore attendre, qu’on la ramène à sa chambre. Mais elle ne se plaint pas, ou très peu, de sa voix à-peine audible, dans un souffle, elle pousse un “c’est dur ici” d’outre-tombe, puis elle sourit faiblement malgré sa dentition en souffrance. Elle mange peu à cause de cela, ces dents qui lui manquent. Mais bientôt, elle aura un dentier tout neuf, et, j’en suis sûr, son sourire redeviendra éclatant.

Car petite maman tordue a toujours été gaie, elle chantait en faisant la cuisine quand j’étais gosse, elle chantait en Breton même. Et je raffolais de ses patates sautées, ainsi que toute la famille, et dont le secret s’en ira avec elle. Mais elle ne peut pas mourir, moi vivant. Elle est solide, très solide et j'aime quand elle me sourit - alors je prends ses mains dans les miennes pour les embrasser.


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